Pas content ! - Mot-clé - Guillemin2024-03-27T18:57:02+01:00Gibusurn:md5:d1aadfbb494e48d249c8fbe4fbd6e772DotclearRousseau, citoyen du futururn:md5:ca08f22ad13b0f6b7edf1722d4521d8e2013-08-02T15:01:00+02:002017-02-06T19:56:06+01:00gibusRessourcesGuillemininsurrectionJouarypropriétérapports de dominationRousseauVoltaire<p><img src="https://pascontent.sedrati.xyz/public/.jouary_rousseau_citoyen_futur_s.jpg" alt="jouary_rousseau_citoyen_futur.jpg" style="float:left; margin: 0 1em 1em 0;" title="jouary_rousseau_citoyen_futur.jpg, juil. 2013" /> Je reviens <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/07/29/S-attaquer-%C3%A0-la-propri%C3%A9t%C3%A9">comme promis</a> sur le livre de <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Paul_Jouary" hreflang="fr">Jean-Paul Jouary</a> <em>'Rousseau, citoyen du futur</em>, Le Livre de Poche, collection <em>Classiques de la philosophie</em>, 2012. EAN13 : 2253089247.</p>
<p>Il est des lectures qui marquent, qui bouleversent, qui donnent envie de les partager, qui font naître le besoin que ses propres amis s'y soient de même plongés, parce qu'en sortant de telles lectures, rien n'apparaît plus intéressant à débattre que ce que l'on vient de vivre au contact de tels écrits.</p>
<p>Je ne sais laquelle de celle du petit livre de Jean-Paul <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/tag/Jouary">Jouary</a> ou de la lecture immédiate du <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Discours_sur_l%27origine_et_les_fondements_de_l%27in%C3%A9galit%C3%A9_parmi_les_hommes" hreflang="fr">Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes</a>, de Jean-Jacques Rousseau lui-même, fait partie au plus au degré de ce genre de lectures indispensables. Mais j'aimerais montrer dans ce billet combien la philosophie politique et sociale de <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/tag/Rousseau">Rousseau</a> se calque parfaitement et inspire l'urgente nécessité d'<a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/tag/insurrection">insurrection</a> que je dénonce sur ce blog, contre les <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/tag/rapports%20de%20domination">rapports de domination</a>, s'<a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/07/25/Le-poids-de-l-ordre-social-voltairien">exprimant</a> dans la conservation de l'ordre social voltairien <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/07/29/S-attaquer-%C3%A0-la-propri%C3%A9t%C3%A9">basé</a> sur une sacralisation de la <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/tag/propri%C3%A9t%C3%A9">propriété</a>.</p> <p><em>Rousseau, citoyen du futur</em> est en effet un petit livre qui ne compte que 234 pages, la seconde partie étant consacrée à reproduire les sources des textes dont il est question dans le développement de la première partie qui court sur 82 pages seulement. Jean-Paul Jouary réalise donc la prouesse de raconter en quelques dizaines de pages le cheminement suivi par Rousseau pour arriver à l'essentiel de la philosophie politique et sociale qu'il a laissée à la postérité. Je doute qu'il me soit possible de le résumer plus encore et je suis certain que je le ferai avec moins de talent sans que l'exactitude et la complétude ne sacrifient à la clarté et inversement. Il <em>faut</em> lire ce petit livre de Jouary. Mais voici donc grossièrement ce qu'il raconte.</p>
<p>Jean-Paul Jouary suit peu ou prou le plan du <a href="http://www.rts.ch/archives/tv/culture/en-appel/3448914-rousseau-1.html">premier exposé</a> qu'Henri <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/tag/Guillemin">Guillemin</a> a donné sur Jean-Jacques Rousseau : ce dernier a connu à la fin de sa vie une persécution d'une violence inouïe, notamment de la part de <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/tag/Voltaire">Voltaire</a> ; ceci parce que Rousseau avait publié des écrits qui ébranlaient radicalement les fondements mêmes de l'ordre politique et social – Jouary ne traite pas des divergences sur le plan religieux auxquelles Guillemin s'est également attaché – soutenu par Voltaire et les Encyclopédistes ; suit une description de cette philosophie politique et sociale rousseauiste qui s'est tant heurtée aux idées qui allaient dominer la révolution de 1789, dont l'exposé des conclusions est tout aussi important que le raisonnement qui y conduit.</p>
<p>Quelles étaient ces idées que Rousseau balaie d'un revers de plume ? Bien entendu, celles colportées par Bossuet en France, asseyant la conservation d'un pouvoir fondé sur le droit divin. Mais également celles – dont les théoriciens furent <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Thomas_Hobbes" hreflang="fr">Thomas Hobbes</a> et <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/John_Locke" hreflang="fr">John Locke</a>, inspirant, pour faire court, le capitalisme libéral de l'ordre social voltairien qui perdure et atteint de nos jour son apogée dans la <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Mondialisation" hreflang="fr">mondialisation</a> <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/N%C3%A9olib%C3%A9ralisme" hreflang="fr">néolibérale</a> – qui pour renverser les précédentes désignaient les classes possédantes comme légitimes à dominer les autres par la grâce de la propriété sanctifiée en droit naturel. On sent déjà l'écho qui a pu résonner entre ce contre quoi s'opposait Rousseau et ce que j'ai développé <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/07/25/Le-poids-de-l-ordre-social-voltairien">ici</a> ou <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/07/29/S-attaquer-%C3%A0-la-propri%C3%A9t%C3%A9">là</a> sur ce blog.</p>
<p>Pour ce faire, le premier et principal apport de Rousseau est à trouver dans la réponse qu'il fit au concours de l'Académie de Dijon pour l'obtention du prix de morale de 1754 qui portait sur le sujet suivant : <q>Quelle est la source de l'inégalité parmi les hommes, et si elle est autorisée par la loi naturelle ?</q><sup>[<a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/08/02/Rousseau%2C-citoyen-du-futur#wiki-footnote-1" id="rev-wiki-footnote-1">1</a>]</sup> Dans ce texte en deux parties, Rousseau élabore, dans la première, une construction raisonnée de ce que l'on peut entendre par <em>nature de l'homme</em> pour suivre, dans la seconde, le chemin, les circonstances et les causes qui ont conduit cet homme à l'état de nature jusqu'à celui que l'on connaît actuellement. La puissance de ce raisonnement tient d'une part dans ce qu'il permet d'éviter les erreurs de ceux qui font de la propriété un droit naturel. En effet ceux-ci désignait comme naturelles des propriétés de l'homme contemporain tels qu'ils le voyaient, ce qui leur permet de justifier les conclusions qu'ils savaient vouloir tirer, en mettant dans la nature toutes les conditions nécessaires à ces conclusions. Mais surtout, le raisonnement que suit Rousseau ne peut aboutir qu'à conclure que soit les inégalités existaient déjà entre les hommes à l'état naturel, soit elles sont une constructions sociales et peuvent donc être résorbées par un choix politique.</p>
<p>Inévitablement, le concept d'homme à l'état naturel, lorsqu'il est construit par la raison, mène Rousseau à écarter une quelconque origine des inégalités sociales dans ce que l'homme possède de naturel, que ce ce soit physiquement, intellectuellement ou moralement – au passage, le mythe du « bon sauvage » que l'on associe encore à la pensée de Rousseau en prend un coup, ce dernier répétant que sur le plan moral, le sauvage n'est ni bon, ni mauvais. L'homme naturel ne se différencierait de l'animal que par un déficit d'instinct qui, là où l'animal est commandé par la nature, permet à l'homme d'accepter ou refuser ces commandements. La seule capacité naturelle de l'homme semble résider dans l'instinct de conservation de soi-même et dans celui de pitié naturelle – sans qu'intervienne la morale, ce n'est qu'un instinct – qui nous fait ressentir la souffrance d'êtres qui nous ressemblent suffisamment pour qu'on s'identifie à leur souffrance. Ce n'est que lorsqu'ils ont accédé à la culture, que les inégalités se sont développées entre les hommes.</p>
<p>J'arrêterai là cette esquisse de résumé. Jean-Paul Jouary se révèle le plus limpide des guides pour suivre le parcours emprunté par Rousseau, en indiquer les monuments à côté desquels on ne peut passer sans s'arrêter, en montrer avec précaution chaque marche qu'il a fallu grimper, en souligner la pertinence quant aux questions fondamentales qui continuent de se poser aujourd'hui, pour enfin dépasser les écueils qui ont arrêté Rousseau dans son cheminement. Il faut lire <em>Rousseau, citoyen du futur</em> ! Mais pour mettre en appétit, voici, parmi ceux choisis par Jouary, quelques extraits de ce qu'écrivait Rousseau :</p>
<blockquote><p>Le premier qui, ayant enclos un terrain, s'avisa de dire : <em>Ceci est à moi</em>, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d'horreurs n'eût point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux et comblant le fossé, eût crié à ses semblables : Gardez-vous d'écouter cet imposteur ; vous êtes perdus si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n'est à personne ! Mais il y a grande apparence qu'alors les choses en étaient déjà venues au point de ne pouvoir plus durer comme elles étaient : car cette idée de propriété, dépendant de beaucoup d'idées antérieures qui n'ont pu naître que successivement, ne se forma pas tout d'un coup dans l'esprit humain : il fallut faire bien des progrès, acquérir bien de l'industrie et des lumières, les transmettre et les augmenter d'âge en âge, avant d'arriver à ce dernier terme de l'état de nature.<br /><span style="font-size: 80%;">Jean-Jacques Rousseau, <em>Discours sur l'origine et le fondements de l'inégalité parmi les hommes</em>, cité par Jean-Paul Jouary, <em>Rousseau, citoyen du futur</em>, p. 38.</span></p></blockquote>
<blockquote><p>Destitué de raisons valables pour se justifier et de forces suffisantes pour se défendre ; écrasant facilement un particulier, mais écrasé lui-même par des troupes de bandits ; seul contre tous, et ne pouvant, à cause des jalousies mutuelles, s'unir avec ses égaux contre des ennemis unis par l'espoir commun du pillage, le riche, pressé par la nécessité, conçut enfin le projet le plus réfléchi qui soit jamais entré dans l'esprit humain ; ce fut d'employer en sa faveur les forces mêmes de ceux qui l'attaquaient, de faire ses défenseurs de ses adversaires, de leur inspirer d'autres maximes, et de leur donner d'autres institutions qui lui fussent aussi favorables que le droit naturel lui était contraire.</p>
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Dans cette vue, après avoir exposé à ses voisins l'horreur d'une situation qui les armait tous les uns contre les autres, qui leur rendait leurs possessions aussi onéreuses que leurs besoins, et où nul ne trouvait sa sûreté ni dans la pauvreté ni dans la richesse, il inventa aisément des raisons spécieuses pour les amener à son but. « Unissons-nous, leur dit-il, pour garantir de l'oppression les faibles, contenir les ambitieux, et assurer à chacun la possession de ce qui lui appartient. Instituons des règlements de justice et de paix auxquels tous soient obligés de se conformer, qui ne fassent exception de personne, et qui réparent en quelque sorte les caprices de la fortune en soumettant également le puissant et le faible à des devoirs mutuels. En un mot, au lieu de tourner nos forces contre nous-mêmes, rassemblons-les en un pouvoir suprême qui nous gouverne selon de sages lois, qui protège et défende tous les membres de l'association, repousse les ennemis communs, et nous maintienne dans une concorde éternelle. »</p>
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Il en fallut beaucoup moins que l'équivalent de ce discours pour entraîner des hommes grossiers, faciles à séduire, qui d'ailleurs avaient trop d'affaires à démêler entre eux pour pouvoir se passer d'arbitres, et trop d'avarice et d'ambition pour pouvoir longtemps se passer de maîtres. Tous coururent au-devant de leurs fers, croyant assurer leur liberté, car avec assez de raison pour sentir les avantages d'un établissement politique, ils n'avaient pas assez d'expérience pour en prévoir les dangers ; les plus capables de pressentir les abus étaient précisément ceux qui comptaient d'en profiter, et les sages mêmes virent qu'il fallait se résoudre à sacrifier une partie de leur liberté à la conservation de l'autre, comme un blessé se fait couper le bras pour sauver le reste du corps.</p>
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Telle fut ou dut être l'origine de la société et des lois, qui donnèrent de nouvelles forces au riche, détruisirent sans retour la liberté naturelle, fixèrent pour jamais la loi de la propriété et de l'inégalité, d'une adroite usurpation firent une loi irrévocable, et, pour le profit de quelques ambitieux, assujettirent désormais tout le genre humain au travail, à la servitude et à la misère.<br /><span style="font-size: 80%;">Jean-Jacques Rousseau, <em>Discours sur l'origine et le fondements de l'inégalité parmi les hommes</em>, cité par Jean-Paul Jouary, <em>Rousseau, citoyen du futur</em>, p. 42.</span></p></blockquote>
<blockquote><p>La société ne consista d'abord qu'en quelques conventions générales que tous les particuliers s'engageaient à observer, et dont la communauté se rendait garante envers chacun d'eux. Il fallut que l'expérience montrât combien une pareille constitution était faible, et combien il était facile aux infracteurs d'éviter la conviction ou le châtiment des fautes dont le public seul devait être le témoin et le juge ; il fallut que la loi fût éludée de mille manières ; il fallut que les inconvénients et les désordres se multipliassent continuellement, pour qu'on songeât enfin à confier à des particuliers le dangereux dépôt de l'autorité publique et qu'on commît à des magistrats le soin de faire observer les délibérations du peuple ; car de dire que les chefs furent choisis avant que la confédération fût faite et que les ministres des lois existèrent avant les lois mêmes, c'est une supposition qu'il n'est pas permis de combattre sérieusement.</p>
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Il ne serait pas plus raisonnable de croire que les peuples se sont d'abord jetés entre les bras d'un maître absolu, sans conditions et sans retour, et que le premier moyen de pourvoir à la sûreté commune qu'aient imaginé des hommes fiers et indomptés a été de se précipiter dans l'esclavage. En effet, pourquoi se sont-ils donné des supérieurs, si ce n'est pour les défendre contre l'oppression, et protéger leurs biens, leurs libertés et leurs vies, qui sont, pour ainsi dire, les éléments constitutifs de leur être ? Or, dans les relations d'homme à homme, le pis qui puisse arriver à l'un étant de se voir à la discrétion de l'autre, n'eût-il pas été contre le bon sens de commencer par se dépouiller entre les mains d'un chef des seules choses pour la conservation desquelles ils avaient besoin de son secours ? Quel équivalent eût-il pu leur offrir pour la concession d'un si beau droit ? Et, s'il eût osé l'exiger sous le prétexte de les défendre, n'eût-il pas aussitôt reçu la réponse de l'apologue : Que nous fera de plus l'ennemi ? Il est donc incontestable, et c'est la maxime fondamentale de tout le droit politique, que les peuples se sont donné des chefs pour défendre leur liberté, et non pour les asservir. <em>Si nous avons un prince</em>, disait Pline à Trajan, <em>c'est afin qu'il nous préserve d'avoir un maître</em>.</p>
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Les politiques font sur l'amour de la liberté les mêmes sophismes que les philosophes ont faits sur l'état de la nature : par les choses qu'ils voient, ils jugent des choses très différentes qu'ils n'ont pas vues, et ils attribuent aux hommes un penchant naturel à la servitude, par la patience avec laquelle ceux qu'ils ont sous les yeux supportent la leur ; sans songer qu'il en est de la liberté comme de l'innocence et de la vertu, dont on ne sent le prix qu'autant qu'on en jouit soi-même, et dont le goût se perd sitôt qu'on les a perdues.<br /><span style="font-size: 80%;">Jean-Jacques Rousseau, <em>Discours sur l'origine et le fondements de l'inégalité parmi les hommes</em>, cité par Jean-Paul Jouary, <em>Rousseau, citoyen du futur</em>, p. 44.</span></p></blockquote>
<blockquote><p>L'ambition des principaux profita de ces circonstances pour perpétuer leurs charges dans leurs familles ; le peuple, déjà accoutumé à la dépendance, au repos et aux commodités de la vie, et déjà hors d'état de briser ses fers, consentit à laisser augmenter sa servitude pour affermir sa tranquillité, et c'est ainsi que les chefs, devenus héréditaires, s'accoutumèrent à regarder leur magistrature comme un bien de famille, à se regarder eux-mêmes comme les propriétaires de l'État, dont ils n'étaient d'abord que les officiers, à appeler leurs concitoyens leurs esclaves, à les compter comme du bétail au nombre des choses qui leur appartenaient et à s'appeler eux-mêmes égaux aux dieux et rois des rois.</p>
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Si nous suivons le progrès de l'inégalité dans ces différentes révolutions, nous trouverons que l'établissement de la loi et du droit de propriété fut son premier terme, l'institution de la magistrature le second, que le troisième et dernier fut le changement du pouvoir légitime en pouvoir arbitraire ; en sorte que l'état de riche et de pauvre fut autorisé par la première époque, celui de puissant et de faible par la seconde, et par la troisième celui de maître et d'esclave, qui est le dernier degré de l'inégalité et le terme auquel aboutissent enfin tous les autres, jusqu'à ce que de nouvelles révolutions dissolvent tout à fait le gouvernement, ou le rapprochent de l'institution légitime.<br /><span style="font-size: 80%;">Jean-Jacques Rousseau, <em>Discours sur l'origine et le fondements de l'inégalité parmi les hommes</em>, cité par Jean-Paul Jouary, <em>Rousseau, citoyen du futur</em>, p. 46.</span></p></blockquote>
<blockquote><p>Les distinctions politiques amènent nécessairement les distinctions civiles, L'inégalité, croissant entre le peuple et ses chefs, se fait bientôt sentir parmi les particuliers, et s'y modifie en mille manières, selon les passions, les talents et les occurrences. Le magistrat ne saurait usurper un pouvoir illégitime sans se faire des créatures auxquelles il est forcé d'en céder quelque partie. D'ailleurs, les citoyens ne se laissent opprimer qu'autant qu'entraînés par une aveugle ambition, et regardant plus au-dessous qu'au-dessus d'eux, la domination leur devient plus chère que l'indépendance, et qu'ils consentent à porter des fers pour en pouvoir donner à leur tour. Il est très difficile de réduire à l'obéissance celui qui ne cherche point à commander et le politique le plus adroit ne viendrait pas à bout d'assujettir des hommes qui ne voudraient qu'être libres. Mais l'inégalité s'étend sans peine parmi des âmes ambitieuses et lâches, toujours prêtes à courir les risques de la fortune et à dominer ou servir presque indifféremment, selon qu'elle leur devient favorable ou contraire. C'est ainsi qu'il dut venir un temps où les yeux du peuple furent fascinés à tel point que ses conducteurs n'avaient qu'à dire au plus petit des hommes : Sois grand, toi et toute ta race ; aussitôt il paraissait grand à tout le monde ainsi qu'à ses propres yeux, et ses descendants s'élevaient encore à mesure qu'ils s'éloignaient de lui ; plus la cause était reculée et incertaine, plus l'effet augmentait ; plus on pouvait compter de fainéants dans une famille, et plus elle devenait illustre.<br /><span style="font-size: 80%;">Jean-Jacques Rousseau, <em>Discours sur l'origine et le fondements de l'inégalité parmi les hommes</em>, cité par Jean-Paul Jouary, <em>Rousseau, citoyen du futur</em>, p. 47.</span></p></blockquote>
<blockquote><p>J'ai tâché d'exposer l'origine et le progrès de l'inégalité, l'établissement et l'abus des sociétés politiques, autant que ces choses peuvent se déduire de la nature de l'homme par les seules lumières de la raison, et indépendamment des dogmes sacrés qui donnent à l'autorité souveraine la sanction du droit divin. Il suit de cet exposé que l'inégalité, étant presque nulle dans l'état de nature, tire sa force et son accroissement du développement de nos facultés et des progrès de l'esprit humain, et devient enfin stable et légitime par l'établissement de la propriété et des lois. Il suit encore que l'inégalité morale, autorisée par le seul droit positif, est contraire au droit naturel toutes les fois qu'elle ne concourt pas en même proportion avec l'inégalité physique ; distinction qui détermine suffisamment ce qu'on doit penser à cet égard de la sorte d'inégalité qui règne parmi tous les peuples policés ; puisqu'il est manifestement contre la loi de nature, de quelque manière qu'on la définisse, qu'un enfant commande à un vieillard, qu'un imbécile conduise un homme sage, et qu'une poignée de gens regorge de superfluités, tandis que la multitude affamée manque du nécessaire.<br /><span style="font-size: 80%;">Jean-Jacques Rousseau, <em>Discours sur l'origine et le fondements de l'inégalité parmi les hommes</em>, cité par Jean-Paul Jouary, <em>Rousseau, citoyen du futur</em>, p. 49.</span></p></blockquote>
<blockquote><p>Le plus fort n'est jamais assez fort pour être toujours le maître s'il ne transforme sa force en droit et l'obéissance en devoir. De là le droit du plus fort ; droit pris ironiquement en apparence, et réellement établi en principe. Mais ne nous expliquera-t-on jamais ce mot ? La force est une puissance physique ; je ne vois point quelle moralité peut résulter de ses effets. Céder à la force est un acte de nécessité, non de volonté ; c'est tout au plus un acte de prudence. En quel sens pourra-ce être un devoir ?</p>
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Supposons un moment ce prétendu droit. Je dis qu'il n'en résulte qu'un galimatias inexplicable ; car, sitôt que c'est la force qui fait le droit, l'effet change avec la cause ; toute force qui surmonte la première succède à son droit. Sitôt qu'on peut désobéir impunément, on le peut légitimement ; et, puisque le plus fort a toujours raison, il ne s'agit que de faire en sorte qu'on soit le plus fort. Or, qu'est-ce qu'un droit qui périt quand la force cesse ? S'il faut obéir par force, on n'a pas besoin d'obéir par devoir ; et si l'on n'est plus forcé d'obéir, on n'y est plus obligé. On voit donc que ce mot de droit n'ajoute rien à la force ; il ne signifie ici rien du tout.</p>
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Obéissez aux puissances. Si cela veut dire : cédez à la force, le précepte est bon, mais superflu ; je réponds qu'il ne sera jamais violé. Toute puissance vient de Dieu, je l'avoue ; mais toute maladie en vient aussi. Est-ce à dire qu'il soit défendu d'appeler le médecin ? Qu'un brigand me surprenne au coin d'un bois, non seulement il faut par force donner sa bourse ; mais, quand je pourrais la soustraire, suis-je en conscience obligé de la donner ? Car, enfin, le pistolet qu'il tient est une puissance.</p>
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Convenons donc que force ne fait pas droit, et qu'on n'est obligé d'obéir qu'aux puissances légitimes.<br /><span style="font-size: 80%;">Jean-Jacques Rousseau, <em>Du contrat social</em>, cité par Jean-Paul Jouary, <em>Rousseau, citoyen du futur</em>, p. 56.</span></p></blockquote>
<blockquote><p>« Trouver une forme d'association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun, s'unissant à tous, n'obéisse pourtant qu'à lui-même, et reste aussi libre qu'auparavant. » Tel est le problème fondamental dont le Contrat social donne la solution.<br /><span style="font-size: 80%;">Jean-Jacques Rousseau, <em>Du contrat social</em>, cité par Jean-Paul Jouary, <em>Rousseau, citoyen du futur</em>, p. 57.</span></p></blockquote>
<blockquote><p>Il s'ensuit de ce qui précède que la volonté générale est toujours droite et tend toujours à l'utilité publique ; mais il ne s'ensuit pas que les délibérations du peuple aient toujours la même rectitude. On veut toujours son bien, mais on ne le voit pas toujours. Jamais on ne corrompt le peuple, mais souvent on le trompe, et c'est alors seulement qu'il paraît vouloir ce qui est mal.</p>
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Il y a souvent bien de la différence entre la volonté de tous et la volonté générale ; celle-ci ne regarde qu'à l'intérêt commun ; l'autre regarde à l'intérêt privé, et n'est qu'une somme de volontés particulières : mais ôtez de ces mêmes volontés les plus et les moins qui s'entre-détruisent, reste pour somme des différences la volonté générale.</p>
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Si, quand le peuple suffisamment informé délibère, les citoyens n'avaient aucune communication entre eux, du grand nombre de petites différences résulterait toujours la volonté générale, et la délibération serait toujours bonne. Mais quand il se fait des brigues, des associations partielles aux dépens de la grande, la volonté de chacune de ces associations devient générale par rapport à ses membres, et particulière par rapport à l'État : on peut dire alors qu'il n'y a plus autant de votants que d'hommes, mais seulement autant que d'associations. Les différences deviennent moins nombreuses et donnent un résultat moins général. Enfin quand une de ces associations est si grande qu'elle l'emporte sur toutes les autres, vous n'avez plus pour résultat une somme de petites différences, mais une différence unique ; alors il n'y a plus de volonté générale, et l'avis qui l'emporte n'est qu'un avis particulier.<br /><span style="font-size: 80%;">Jean-Jacques Rousseau, <em>Du contrat social</em>, cité par Jean-Paul Jouary, <em>Rousseau, citoyen du futur</em>, p. 60.</span></p></blockquote>
<blockquote><p>Sitôt que le service public cesse d'être la principale affaire des citoyens, et qu'ils aiment mieux servir de leur bourse que de leur personne, l'État est déjà près de sa ruine. Faut-il marcher au combat ? ils payent des troupes et restent chez eux ; faut-il aller au conseil ? ils nomment des députés et restent chez eux. À force de paresse et d'argent, ils ont enfin des soldats pour asservir la patrie, et des représentants pour la vendre.</p>
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C'est le tracas du commerce et des arts, c'est l'avide intérêt du gain, c'est la mollesse et l'amour des commodités, qui changent les services personnels en argent. On cède une partie de son profit pour l'augmenter à son aise. Donnez de l'argent, et bientôt vous aurez des fers. Ce mot de finance est un mot d'esclave, il est inconnu dans la cité. Dans un pays vraiment libre, les citoyens font tout avec leurs bras, et rien avec de l'argent ; loin de payer pour s'exempter de leurs devoirs, ils payeraient pour les remplir eux-mêmes.<br /><span style="font-size: 80%;">Jean-Jacques Rousseau, <em>Du contrat social</em>, cité par Jean-Paul Jouary, <em>Rousseau, citoyen du futur</em>, p. 62.</span></p></blockquote>
<blockquote><p>L'attiédissement de l'amour de la patrie, l'activité de l'intérêt privé, l'immensité des États, les conquêtes, l'abus du gouvernement, ont fait imaginer la voie des députés ou représentants du peuple dans les assemblées de la nation. C'est ce qu'en certain pays on ose appeler le tiers état. Ainsi l'intérêt particulier de deux ordres est mis au premier et second rang ; l'intérêt public n'est qu'au troisième.</p>
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La souveraineté ne peut être représentée, par la même raison qu'elle peut être aliénée ; elle consiste essentiellement dans la volonté générale, et la volonté ne se représente point : elle est la même, ou elle est autre ; il n'y a point de milieu. Les députés du peuple ne sont donc ni ne peuvent être ses représentants, ils ne sont que ses commissaires ; ils ne peuvent rien conclure définitivement. Toute loi que le peuple en personne n'a pas ratifiée est nulle ; ce n'est point une loi. Le peuple Anglais pense être libre, il se trompe fort ; il ne l'est que durant l'élection des membres du parlement : sitôt qu'ils sont élus, il est esclave, il n'est rien. Dans les courts moments de sa liberté, l'usage qu'il en fait mérite bien qu'il la perde.</p>
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L'idée des représentants est moderne : elle nous vient du gouvernement féodal, de cet inique et absurde gouvernement dans lequel l'espèce humaine est dégradée, et où le nom d'homme est en déshonneur. Dans les anciennes républiques, et même dans les monarchies, jamais le peuple n'eut des représentants ; on ne connaissait pas ce mot-là.<br /><span style="font-size: 80%;">Jean-Jacques Rousseau, <em>Du contrat social</em>, cité par Jean-Paul Jouary, <em>Rousseau, citoyen du futur</em>, p. 66.</span></p></blockquote>
<blockquote><p>À l'égard des élections du prince et des magistrats, qui sont, comme je l'ai dit, des actes complexes, il y a deux voies pour y procéder ; savoir, le choix et le sort. L'une et l'autre ont été employées en diverses républiques, et l'on voit encore actuellement un mélange très compliqué des deux dans l'élection du doge de Venise.</p>
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« Le suffrage par le sort, dit Montesquieu, est de la nature de la démocratie. » J'en conviens, mais comment cela ? « Le sort, continue-t-il, est une façon d'élire qui n'afflige personne : il laisse à chaque citoyen une espérance raisonnable de servir la patrie. » Ce ne sont pas là des raisons.</p>
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Si l'on fait attention que l'élection des chefs est une fonction du gouvernement, et non de la souveraineté, on verra pourquoi la voie du sort est plus dans la nature de la démocratie, où l'administration est d'autant meilleure que les actes en sont moins multipliés.</p>
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Dans toute véritable démocratie, la magistrature n'est pas un avantage, mais une charge onéreuse qu'on ne peut justement imposer à un particulier plutôt qu'à un autre. La loi seule peut imposer cette charge à celui sur qui le sort tombera. Car alors, la condition étant égale pour tous, et le choix ne dépendant d'aucune volonté humaine, il n'y a point d'application particulière qui altère l'universalité de la loi.</p>
<p>
Dans l'aristocratie le prince choisit le prince, le gouvernement se conserve par lui-même, et c'est là que les suffrages sont bien placés.<br /><span style="font-size: 80%;">Jean-Jacques Rousseau, <em>Du contrat social</em>, cité par Jean-Paul Jouary, <em>Rousseau, citoyen du futur</em>, p. 67.</span></p></blockquote>
<blockquote><p>Les lois ne sont proprement que les conditions de l'association civile. Le peuple, soumis aux lois, en doit être l'auteur ; il n'appartient qu'à ceux qui s'associent de régler les conditions de la société. Mais comment les régleront-ils ? Sera-ce d'un commun accord, par une inspiration subite ? Le corps politique a-t-il un organe pour énoncer ses volontés ? Qui lui donnera la prévoyance nécessaire pour en former les actes et les publier d'avance ? ou comment les prononcera-t-il au moment du besoin ? Comment une multitude aveugle, qui souvent ne sait ce qu'elle veut, parce qu'elle sait rarement ce qui lui est bon, exécuterait-elle d'elle-même une entreprise aussi grande, aussi difficile qu'un système de législation ? De lui-même, le peuple veut toujours le bien, mais de lui-même, il ne le voit pas toujours. La volonté générale est toujours droite, mais le jugement qui la guide n'est pas toujours éclairé. Il faut lui faire voir les objets tels qu'ils sont, quelquefois tels qu'ils doivent lui paraître, lui montrer le bon chemin qu'elle cherche, la garantir des séductions des volontés particulières, rapprocher à ses yeux les lieux et les temps, balancer l'attrait des avantages présents et sensibles par le danger des maux éloignés et cachés. Les particuliers voient le bien qu'ils rejettent ; le public veut le bien qu'il ne voit pas. Tous ont également besoin de guides. Il faut obliger les uns à conformer leurs volontés à leur raison ; il faut apprendre à l'autre à connaître ce qu'il veut. Alors des lumières publiques résulte l'union de l'entendement et de la volonté dans le corps social ; de là l'exact concours des parties, et, enfin la plus grande force du tout. Voilà d'où naît la nécessité d'un législateur.<br /><span style="font-size: 80%;">Jean-Jacques Rousseau, <em>Du contrat social</em>, cité par Jean-Paul Jouary, <em>Rousseau, citoyen du futur</em>, p. 73.</span></p></blockquote>
<p>Pour conclure, je tiens à relayer ici l'émission d'<a href="http://www.arretsurimages.net/">Arrêt sur Image</a> <em>C'est dans le texte</em> dans laquelle <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Judith_Bernard" hreflang="fr">Judith Bernard</a> interroge Jean-Paul Jouary à propos de <em>Rousseau, citoyen du futur</em>. Je le fais en contrevenant sciemment aux droits d'Arrêt sur image et de Judith Bernard. Car je suis d'avis que cette émission est d'intérêt public. Elle n'a pas encore reçu le nombre nécessaire de recommandations des abonnés d'Arrêt sur images pour être proposée librement sans abonnement. Mais, l'un des propos de cette émission n'est-il justement pas que l'intérêt général prime sur l'intérêt de tous ? Je suis en outre de l'avis de mon ami <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/J%C3%A9r%C3%A9mie_Zimmermann" hreflang="fr">Jérémie Zimmermann</a> qui, <a href="http://www.arretsurimages.net/emissions/2013-07-12/Vous-avez-deja-vu-une-affaire-revelee-par-des-moyens-honnetes-id6001">invité</a> sur le plateau d'Arrêt sur images, défendait qu'une diffusion libre des émissions serait susceptible d'apporter plus d'abonnés ayant envie que de tels contenus culturels soient produits. Je suis moi-même un abonné, tellement heureux d'avoir découvert grâce à Arrêt sur images des débats intéressants comme celui-ci ou comme ceux auxquels a pu participer <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Fr%C3%A9d%C3%A9ric_Lordon" hreflang="fr">Frédéric Lordon</a>, que je n'hésite pas une seconde à renouveler chaque année cet abonnement, ni à soutenir le spectacle <a href="http://fr.ulule.com/langle-alpha/">Bienvenue dans l'angle Alpha</a> que monte justement Judith Bernard à partir de l'<a href="http://www.arretsurimages.net/emissions/2010-09-30/Lordon-et-le-capitalisme-waoow-d-ns-le-texte-id3405">entretien</a> qu'elle a eu à propos du <a href="http://www.lafabrique.fr/catalogue.php?idArt=530">livre</a> de Lordon <em>Capitalisme, désir et servitude. Marx et Spinoza</em>, aux éditions <em>La Fabrique</em>, 2010, ISBN978-2-3587-2013-7.</p>
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<p>J'encourage mes lecteurs à <a href="http://www.arretsurimages.net/abonnements.php">s'abonner</a> à Arrêt sur image, à <a href="http://www.arretsurimages.net/emissions/2013-03-26/Rousseau-elections-piege-a-cons-d-ns-le-texte-id5712">voter</a> pour l'émission avec Jean-Pierre Jouary, à <a href="http://www.livredepoche.com/rousseau-citoyen-du-futur-jean-paul-jouary-9782253089247">lire</a> <em>Rousseau, citoyen du futur</em>, à <a href="http://www.ac-grenoble.fr/PhiloSophie/mobile/articles.php?lng=fr&pg=25371">relire ou découvrir</a> le <em>Discours sur l'inégalité</em>, à <a href="http://blog.mondediplo.net/-La-pompe-a-phynance-">suivre</a> le blog de Frédéric Lordon, à <a href="http://fr.ulule.com/langle-alpha/">soutenir</a> la pièce de Judith Bernard, et à s'insurger !</p>
<div class="footnotes"><h4>Note</h4>
<p>[<a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/08/02/Rousseau%2C-citoyen-du-futur#rev-wiki-footnote-1" id="wiki-footnote-1">1</a>] <q>L'Académie <a href="http://www.corpus-philo.fr/academie-dijon-origine-inegalite.html">reçut</a> douze textes; il nous reste, conservés à la Bibliothèque de Dijon, dix manuscrits; deux ont disparu : le manuscrit coté 6 – celui de Rousseau – et le manuscrit coté 12, d'un auteur inconnu.</q> Le prix fut remporté par la réponse conformiste de l'<q>Abbé Talbert, chanoine en l'Église illustre de Besançon, et Membre de l'Académie de cette Ville</q>, confortant la justification naturelle des inégalités pas sa cause divine à la suite du pêché originel.</p></div>
https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/08/02/Rousseau%2C-citoyen-du-futur#comment-formhttps://pascontent.sedrati.xyz/index.php/feed/atom/comments/9S'attaquer à la propriétéurn:md5:b462f1ad71ff75743bc71b2231d9367d2013-07-29T16:27:00+02:002015-03-17T15:25:20+01:00gibusInsurrectionConseil constitutionnelDRMGuillemininsurrectionpropriétépropriété intellectuellerapports de dominationRousseauStallmansubprimesTCEUnion européenneVoltaire<p>S'attaquer à la <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/tag/propri%C3%A9t%C3%A9">propriété</a> est incontournable, puisque c'est cette notion même de « propriété » qui <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/07/25/Le-poids-de-l-ordre-social-voltairien">semble justifier</a> depuis au moins deux siècles et demi les <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/tag/rapports%20de%20domination">rapports de domination</a> assujettissant la majorité du peuple à être gouvernée par une minorité de possédants.</p>
<p>Mais puis-je moi-même <em>m'attaquer à la propriété</em> ? Ai-je bien les outils pour le faire ? La problématique n'est pas nouvelle et a depuis longtemps été traitée philosophiquement, politiquement, sociologiquement, économiquement, etc. D'une part, je n'ai lu ni Hobbes, ni Locke, ni Marx, ni même Proudhon. Je pense connaître les grands traits de leur pensée en ce qui concerne la propriété, mais sans avoir directement lu leurs écrits, je ne puis que me fier à ce que leurs commentateurs en ont présenté. Or sur un sujet d'une si grande importance, je ne puis faire l'impasse d'une connaissance non-tronquée, si je ne veux commettre d'erreur flagrante de raisonnement. D'autre part, quand bien même aurais-je lu exhaustivement les penseurs qui ont conceptualisé cette notion de propriété, qu'aurais-je à apporter à sa critique qui n'a déjà été soulevé ?</p>
<p>Il se trouve que j'ai été confronté dans mon activisme militant pour les libertés sur Internet à ce que l'on nomme <em>propriété intellectuelle</em>. C'est par ce biais que je peux espérer trouver une réflexion enrichissante me permettant effectivement de m'attaquer à la propriété.</p> <p>Dès que l'on énonce l'expression « <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/tag/propri%C3%A9t%C3%A9%20intellectuelle">propriété intellectuelle</a> », deux remarques s'imposent. À peine m'étais-je plongé dans la compréhension des problèmes soulevés par les brevets logiciels et dans la lutte pour leur exclusion, que je suis inévitablement tombé sur cette <a href="http://www.gnu.org/philosophy/not-ipr.fr.html">double mise en garde</a> vis-à-vis du terme que <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Richard_Stallman" hreflang="fr">Richard Stallman</a> ne manque de ressasser.</p>
<p>Tout d'abord, <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/tag/Stallman">Stallman</a> objecte que l'on range sous ce vocable une telle quantité de droits – brevets, droits d'auteur et droits voisins, marques de fabrique ou de commerce, dessins et modèles, certificats complémentaires de protection, certificats d'obtention végétale, appellations d'origine et indications géographiques, noms de domaine, protection des bases de données, topographies de circuits intégrés, etc. – comportant tant de différences les uns avec les autres, que tout discours voulant englober tous ces droits conduit à des généralisations absurdes.</p>
<p>Par ailleurs – et c'est ce qui nous intéresse en premier lieu ici – parler de <em>propriété intellectuelle</em> en ce qui concerne ces droits fort différents les uns des autres insinue une analogie avec les droits de propriété tels qu'on les conçoit ordinairement sur des objets physiques, matériels.</p>
<p>Ces remarques étant posées, je continuerai ici de parler de <em>propriété intellectuelle</em>, sachant le terme impropre, mais m'appuyant justement sur cette analogie trompeuse pour m'attaquer à la propriété.</p>
<p>La première fois que ce terme de <em>propriété intellectuelle</em> m'a frappé de plein fouet fut lorsqu'il a été inscrit dans la Charte des droits fondamentaux de l'<a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/tag/Union%20europ%C3%A9enne">Union européenne</a>, adoptée le 7 décembre 2000 à Nice et destinée à être « constitutionnalisée » dans le <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/tag/TCE">traité établissant une Constitution pour l'Europe</a>, rejeté par référendum en France et aux Pays-Bas en 2005, jusqu'à ce que l'entrée en vigueur du <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Trait%C3%A9_de_Lisbonne" hreflang="fr">Traité de Lisbonne</a> en 2009 lui confère une valeur juridiquement contraignante. En effet l'<a href="http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:C:2012:326:0391:01:FR:HTML">article 17</a> de cette charte définit ainsi le <em>droit de propriété</em> :</p>
<blockquote><p>1. Toute personne a le droit de jouir de la propriété des biens qu'elle a acquis légalement, de les utiliser, d'en disposer et de les léguer. Nul ne peut être privé de sa propriété, si ce n'est pour cause d'utilité publique, dans des cas et conditions prévus par une loi et moyennant en temps utile une juste indemnité pour sa perte. L'usage des biens peut être réglementé par la loi dans la mesure nécessaire à l'intérêt général.</p>
<p>
2. La propriété intellectuelle est protégée.</p></blockquote>
<p>C'est bien entendu le second alinéa qui m'a fait tiquer. Cette charte s'attache partout ailleurs à énoncer et définir des droits et libertés censés protéger les citoyens européens. Mais, uniquement dans ce second paragraphe de l'article 17, ces derniers ne sont plus l'objet de l'attention du législateur et on leur substitue cette fiction juridique informe et trompeuse qu'est la <em>propriété intellectuelle</em>. Pourquoi une telle attention ? Qu'est-ce qui peut bien élever la <em>propriété intellectuelle</em> a un statut d'une importance et d'une dignité telle qu'il faille préciser explicitement qu'elle doit être protégée ? Et non pas ceux qui en jouissent, mais elle-même en tant que concept à défendre !</p>
<p>Les explications relatives à la Charte des droits fondamentaux <a href="http://eur-lex.europa.eu/fr/treaties/dat/32007X1214/htm/C2007303FR.01001701.htm">données</a> par le præsidium de la Convention qui a élaboré cette charte fournissaient un indice sibyllin :</p>
<blockquote><p>La protection de la propriété intellectuelle, qui est un des aspects du droit de propriété, fait l'objet d'une mention explicite au paragraphe 2 en raison de son importance croissante et du droit communautaire dérivé.</p></blockquote>
<p>C'est donc, parce que la <em>propriété intellectuelle</em> est une partie intégrante du droit de propriété à l'importance croissante de nos jours, qu'elle mérité ces honneurs. Mais si c'est bien le cas, si la <em>propriété intellectuelle</em> est un aspect de la propriété traditionnelle, physique, matérielle, quel besoin peut-il justement y avoir de distinguer cette partie alors que le tout permet d'ores et déjà à celui qui en jouit de bénéficier d'une protection strictement définie ?</p>
<p>Cette définition du premier alinéa ne m'a d'ailleurs aucunement choqué à l'époque. Il faudra pourtant revenir dessus. Mais convenons pour l'instant que la protection spécifique conférée par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne à la <em>propriété intellectuelle</em>, en tant que telle, nourrit une certaine suspicion quant à l'origine de cet attachement à expliciter la préservation de sa sécurité propre. Quoi ?! la <em>propriété intellectuelle</em> serait un édifice si fragile qu'il faille lui construire un bastion aussi solide qu'un texte primordial sur les droits et libertés fondamentaux ?</p>
<p>Ce même biais forçant à considérer la <em>propriété intellectuelle</em> comme faisant partie intégrante de la propriété au sens large et des droits qu'elle confère, m'est apparu à nouveau un an plus tard dans une décision du Conseil constitutionnel du 27 juillet 2006. Mais pour en saisir la portée, j'aimerais m'égarer à raconter un problème auquel j'ai été confronté il y a à peine quelques jours, soit près de huit ans après cet avis de la plus haute juridiction française.</p>
<p>Ayant <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/07/25/Le-poids-de-l-ordre-social-voltairien">évoqué</a> <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/tag/Voltaire">Voltaire</a>, je ne pouvais manquer d'évoquer celui que Gavroche lui associe dans son célèbre refrain <q>Je suis tombé par terre / C'est la faute à Voltaire / Le nez dans le ruisseau / C'est la faute à Rousseau</q>. <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/tag/Rousseau">Rousseau</a> n'est-il pas l<em>'anti-Voltaire</em> par excellence ? Ou plutôt, Rousseau n'est-il pas celui qui a subi une véritable persécution de la part de Voltaire ? Et pourquoi ? Parce que Jean-Jacques Rousseau publiait une vision notamment politique et sociale en confrontation directe avec celle de Voltaire consistant – on ne se lassera jamais de la rappeler – à ce que le petit nombre fasse travailler le grand nombre, soit nourri par lui, et le gouverne. Je n'avais lu jusqu'ici que les <em>Rêveries du promeneur solitaire</em> qui, autant qu'il m'en souvienne, ne fournissent pas grand chose sinon rien à propos d'une conception des rapports de domination. J'avais quelques notions de ce que pouvait être la pensée politique et sociale de Rousseau grâce, une fois encore, aux <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/07/29/">exposés</a> d'Henri <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/tag/Guillemin">Guillemin</a>. Mais, grâce à <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Judith_Bernard" hreflang="fr">Judith Bernard</a>, chroniqueuse littéraire à <a href="http://www.arretsurimages.net/">Arrêt sur images</a>, je savais qu'avait été récemment publié un livre, <em>Rousseau, citoyen du futur</em> de Jean-Paul Jouary, dont l'objet était précisément cette pensée politique et sociale de Rousseau.</p>
<p>J'ai donc voulu me procurer un exemplaire de ce livre, mais il n'était pas disponible dans ma librairie de quartier, ni dans les quatre ou cinq auxquelles j'avais pu me rendre. La lecture de ce livre étant urgente, je ne me résolvais pas à attendre quelques jours en le commandant. J'ai donc ensuite tenté d'acheter une version électronique de cet ouvrage. Depuis plus de deux ans, je prends en effet un plaisir inattendu à lire sur mon téléphone. Jamais je n'aurais pensé pouvoir me passer du confort de la lecture d'un objet sur papier. Cependant malgré la taille réduite de l'écran de mon téléphone, je dois avouer que lire des ouvrages dématérialisés s'est avéré offrir quantité d'avantages : transport sans surcharge de centaines de livres, possibilité de lire les mains libres et dans l'obscurité, potentiel quasi-infini d'opérer des traitements sur le texte, etc. Bref, j'ai tenté d'acheter <em>Rousseau, citoyen du futur</em> en livre électronique sur Internet.</p>
<p>Seulement, impossible de trouver cet ouvrage dans un format libre de <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/tag/DRM">DRM</a>. Plus précisément il semble qu'on ne peut se procurer de version électronique de ce livre que sous un format <em>epub protégé par un DRM Adobe</em>. Cela signifie que ce livre est livré sous forme d'un fichier informatique dont tout usage est contrôlé par la société Adobe. Pour le lire, il faudra disposer d'un logiciel proposé par la société Adobe. Je n'ai aucune idée si ce logiciel fonctionne sur mon téléphone portable ou non. Je ne peux apparemment le transférer que six fois sur des appareils équipés du même logiciel. Je ne sais pas non plus s'il me sera loisible d'installer le logiciel adéquat sur mon ordinateur de bureau et de profiter d'une lecture sur son grand écran. Je ne sais pas s'il m'est possible d'imprimer ce fichier pour une lecture lorsque je suis déconnecté de tout appareil électronique. Je ne pense pas pourvoir effectuer le moindre copier-coller d'un extrait de ce livre afin d'en inclure une citation sur ce blog. Je suis quasiment certain de ne pouvoir soumettre tout ou partie du texte à un <a href="http://www.co-ment.com">logiciel</a> permettant de l'annoter. De même il est plus que plausible que je ne puisse effectuer tout traitement informatique sur ce texte numérisé, comme par exemple pour calculer l'occurrence d'un ou de plusieurs mots ou identifier les champs lexicaux employés, etc. Bref, pour acheter ce livre sous la contrainte d'un tel DRM il me faudrait accepter de telles restrictions quant à son usage – jusqu'à douter de pouvoir seulement même le lire – que j'ai du en abandonné l'idée.</p>
<p>J'ai finalement trouvé – grâce à un <a href="http://www.parislibrairies.fr/">site internet</a> mettant en réseau les stocks de diverses librairies parisiennes – une librairie disposant d'un exemplaire et je ne manquerai pas de revenir sur cette lecture bouleversante et stimulante. Mais ce qu'il faut retenir de cette anecdote, c'est qu'en achetant un livre électronique dont l'utilisation est restreinte par des DRM, on ne peut en aucun cas considérer que par cette acquisition, l'objet acquis devient la propriété de son acquéreur. Au contraire, les DRM sont des mesures techniques de restriction visant à ce que le contenu auquel elles s'appliquent demeure l'exclusive propriété de son auteur, ou du moins de ses ayants droit. Ceci en chargeant la société ayant développé ce mécanisme technique d'introduire une exclusion artificielle de toute utilisation non autorisée par l'auteur de l'œuvre, ou du moins de ses ayants droit, et/ou par la société ayant développé le DRM.</p>
<p>Le droit français a rendu ce schéma possible par la promulgation de la loi <a href="http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000266350">n° 2006-961</a> du 1<sup>er</sup> août 2006 relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information, dite <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Droit_d%27auteur_et_droits_voisins_dans_la_soci%C3%A9t%C3%A9_de_l%27information" hreflang="fr">DADVSI</a>. J'<a href="http://wiki.framasoft.info/EUCD/Amendements%c0RejeterOu%c0Soutenir">ai pris une part active</a> à l'élaboration de cette loi et nous avions réussi, avec un <a href="http://eucd.info/">collectif d'activistes</a>, a obtenir au terme de la navette parlementaire, que la protection juridique des DRM instaurée par cette loi – c'est-à-dire la sanction prévue par la loi d'une quelconque tentative de casser ou de divulguer des informations permettant de circonscrire ces fameuses techniques de restriction – ne puisse empêcher l'interopérabilité des logiciels permettant d'accéder aux œuvres soumises techniquement à de tels DRM. Cela signifie tout bonnement qu'avec les amendements que nous avions réussi à faire passer, il aurait été loisible à quiconque de développer un logiciel qui, dans l'exemple ci-dessus, m'aurait permis de lire <em>Rousseau, citoyen du futur</em> selon mes besoins.</p>
<p>Cependant cette « exception d'interopérabilité » a été supprimée par le <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/tag/Conseil%20constitutionnel">Conseil constitutionnel</a>. Et ce sont les <a href="http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/les-decisions/acces-par-date/decisions-depuis-1959/2006/2006-540-dc/decision-n-2006-540-dc-du-27-juillet-2006.1011.html">termes</a> justifiant ce retoquage qui dévoilent ce que la <em>propriété intellectuelle</em> peut fournir comme enseignement sur la propriété au sens large :</p>
<blockquote><p>14. Considérant que la propriété figure au nombre des droits de l'homme consacrés par l'article 2 de la Déclaration de 1789 ; que son article 17 proclame : <em>“La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité”</em> ;</p>
<p>
15. Considérant que les finalités et les conditions d'exercice du droit de propriété ont subi depuis 1789 une évolution caractérisée par une extension de son champ d'application à des domaines nouveaux ; que, parmi ces derniers, figurent les droits de propriété intellectuelle et notamment le droit d'auteur et les droits voisins ;</p>
<p>
<a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/07/29/…" title="…">…</a></p>
<p>
41. Considérant que l'article 14 précise que l'Autorité de régulation des mesures techniques a pour mission de garantir l<em>'“interopérabilité”</em> des systèmes et des services existants <em>“dans le respect des droits des parties”</em> ; que cette disposition doit s'entendre comme étant applicable tant aux titulaires d'un droit d'auteur ou d'un droit voisin ayant recours aux mesures techniques de protection, qu'aux titulaires de droits sur les mesures techniques de protection elles-mêmes ; qu'à défaut de consentement de ces derniers à la communication des informations essentielles à l<em>'“interopérabilité”</em>, cette communication devra entraîner leur indemnisation ; que, dans le cas contraire, ne seraient pas respectées les dispositions de l'article 17 de la Déclaration de 1789 aux termes duquel : <em>“La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité”</em> ;</p></blockquote>
<p>En résumé, la <em>propriété intellectuelle</em>, devant être comprise comme faisant partie du droit de propriété et ce dernier étant <em>sacré et inviolable</em>, elle anéanti de par cet attribut impérieux tout besoin d'interopérabilité, qui devra donc se taire devant elle. Aussi pourquoi s'étonner que la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne consacre solennellement la <em>propriété intellectuelle</em>, puisque celle-ci dérive d'un droit de propriété dont l'importance est telle qu'il faut le reconnaître comme étant ''sacré et inviolable" ? Tiens donc ! Mais qu'est-ce qui rend la propriété si importante qu'on la pare ainsi de vertus métaphysiques ?</p>
<p>Là encore, le Conseil constitutionnel nous fourni une aide précieuse quant à la compréhension de ce sacrement constitutionnel de la propriété. Dans sa <a href="http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/les-decisions/acces-par-date/decisions-depuis-1959/1982/81-132-dc/decision-n-81-132-dc-du-16-janvier-1982.7986.html">décision n° 81-132 DC du 16 janvier 1982</a> sur la loi de nationalisation, l'autorité judiciaire suprême élabore le cheminement historique ayant théorisé un tel sacrement :</p>
<blockquote><p>13. Considérant que l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 proclame : Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression ; que l'article 17 de la même Déclaration proclame également : La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ;</p>
<p>
14. Considérant que le peuple français, par le référendum du 5 mai 1946, a rejeté un projet de Constitution qui faisait précéder les dispositions relatives aux institutions de la République d'une nouvelle Déclaration des droits de l'homme comportant notamment l'énoncé de principes différant de ceux proclamés en 1789 par les articles 2 et 17 précités.</p>
<p>
15. Considérant qu'au contraire, par les référendums du 13 octobre 1946 et du 28 septembre 1958, le peuple français a approuvé des textes conférant valeur constitutionnelle aux principes et aux droits proclamés en 1789 ; qu'en effet, le préambule de la Constitution de 1946 réaffirme solennellement les droits et les libertés de l'homme et du citoyen consacrés par la Déclaration des droits de 1789 et tend seulement à compléter ceux-ci par la formulation des principes politiques, économiques et sociaux particulièrement nécessaires à notre temps ; que, aux termes du préambule de la Constitution de 1958, le peuple français proclame solennellement son attachement aux droits de l'homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils ont été définis par la déclaration de 1789, confirmée et complétée par le Préambule de la Constitution de 1946 .</p>
<p>
16. Considérant que, si postérieurement à 1789 et jusqu'à nos jours, les finalités et les conditions d'exercice du droit de propriété ont subi une évolution caractérisée à la fois par une notable extension de son champ d'application à des domaines individuels nouveaux et par des limitations exigées par l'intérêt général, les principes mêmes énoncés par la Déclaration des droits de l'homme ont pleine valeur constitutionnelle tant en ce qui concerne le caractère fondamental du droit de propriété dont la conservation constitue l'un des buts de la société politique et qui est mis au même rang que la liberté, la sûreté et la résistance à l'oppression, qu'en ce qui concerne les garanties données aux titulaires de ce droit et les prérogatives de la puissance publique ; <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/07/29/…" title="…">…</a></p></blockquote>
<p>L'héritage remonte donc à 1789, autrement dit à une assemblée constituante que l'on sait être dans sa grande majorité voltairienne. Pour bien comprendre l'empreinte que ces possédants constitutionnalistes de 1789 ont juridiquement marqué sur le droit de propriété, il est intéressant de comparer les définitions qu'en font la Déclaration des droits de l'homme de 1789, telle que répétées dans les décision du Conseil constitutionnel ci-dessus, et le projet de constitution rejeté par référendum en mai 1946, que le Conseil constitutionnel ne fait que mentionner. Ce <a href="http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/constitution-projet-avril-1946.asp">projet de constitution du 19 avril 1946</a> énonçait :</p>
<blockquote><p>Article 35</p>
<p>
La propriété est le droit inviolable d'user, de jouir et de disposer des biens garantis a chacun par la loi. Tout homme doit pouvoir y accéder par le travail et par l'épargne.</p>
<p>
Nul ne saurait en être privé si ce n'est pour cause d'utilité publique légalement constatée et sous la condition d'une juste indemnité fixée conformément à la loi.</p>
<p>
Article 36</p>
<p>
Le droit de propriété ne saurait être exercé contrairement à l'utilité sociale ou de manière à porter préjudice à la sûreté, à la liberté, à l'existence ou à la propriété d'autrui.</p>
<p>
Tout bien, toute entreprise dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait doit devenir la propriété de la collectivité.</p></blockquote>
<p>Rien de bien révolutionnaire par rapport à la définition de 1789, si ce n'est que l'on voulait poser des limites à ce droit de propriété lorsque l'exigent des droits plus importants, tel que l'utilité sociale, la sûreté ou la liberté, ou qu'il faille trouver un équilibre entre deux propriétés concurrentes. Il n'a jamais été question de remettre en cause le droit de propriété. Cependant une quelconque limite à ce droit se devait d'être inacceptable. Le projet de constitution d'avril 1946 avait en effet oublié un qualificatif à ce droit de propriété qu'il confirmait pourtant comme étant inviolable.</p>
<p>Les constituants de 1789, qui rappelons-le encore faisaient quasi-exclusivement partie des possédants, avaient en effet élevé le droit de propriété au rang de <em>sacré</em>. Le mot est d'autant plus important qu'il fut choisi dans un contexte de révolution mazoutant d'essence républicaine tout ce qu'il y avait de sacré. Alors pourquoi tant d'honneur religieux pour la propriété ? Justement parce que la propriété est l'attribut distinguant ceux qui viennent de parvenir à prendre les leviers de commande de la société française ‑ le petit nombre des possédants – du grand nombre de ceux que les premiers gouvernent. S'attaquer à la propriété, c'est décloisonner l'ordre social. C'est permettre que l'oppressé puisse se libérer de son oppression. Voire que l'oppresseur devienne à son tour oppressé. C'est inconcevable !</p>
<p>Alors on va qualifier la propriété de sacrée. On comprendra ainsi aisément ce que ce droit de propriété a d'inébranlable fondation. Puisqu'il est un droit naturel. Qui est donné à tout homme – on voit déjà la supercherie délaissant ceux qui justement ne sont pas des possédants. Mieux : c'est un droit qui a été sanctifié ! Maintenant qu'il est établi que le roi ne peut tirer son pouvoir du droit divin, c'est la propriété qui se voit être insufflée par Dieu. S'attaquer à la propriété, c'est s'exposer aux fourches de la colère divine. En apposant le verni indélébile du sacré sur la propriété, ce que l'on veut consacrer c'est bel et bien l'ordre social dominé par les possédants<sup>[<a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/07/29/S-attaquer-%C3%A0-la-propri%C3%A9t%C3%A9#wiki-footnote-1" id="rev-wiki-footnote-1">1</a>]</sup>.</p>
<p>Et le stratagème continue de marcher. Notre corps économique et social n'est-il pas en ce moment même aux prises avec une crise financière et économique dont les racines remontent à ce qu'on a appelé en 2007-2008 la crise des <em><a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/tag/subprimes">subprimes</a></em> ? Mais ces dernières ne sont rien d'autre que des montages financiers créant <em>ex nihilo</em> de la valeur basée sur un crédit accordé aux non-possédants afin de leur faire miroiter une accession – qui s'est avérée n'être que fictive – au paradis de la propriété.</p>
<p>Rien d'étonnant donc à ce qu'on veuille s'assurer que droits d'auteur, brevets, marques et autres puissent bénéficier de cette place forte qu'est la propriété depuis qu'on l'a revêtue de l'amure inviolable du sacré. Étiquetés d'un label <em>propriété intellectuelle</em> ces droits d'exclusion sur les créations de l'esprit n'en ont que plus de force, ce qui permet de faire pencher la balance en leur faveur lorsqu'il s'agit d'équilibrer avec d'autres droits et libertés fondamentaux qui rentreraient en conflit avec ceux-ci. C'est exactement le sens de la décision du Conseil constitutionnel sur la loi DADVSI.</p>
<p>Au final, qu'en tirer à propos de la <em>propriété</em> au sens large ? J'ai pris le soin dans les prolégomènes de ce billet de faire état du manque d'outils dont je disposais pour proposer une pensée suffisamment informée et enrichissante sur le sujet. Je me garderai donc bien de conclure à la nécessaire éradication du droit de propriété. Faut-il radicalement supprimer le droit de propriété ? Je n'en sais rien. Peut-être est-ce effectivement une condition inexorable pour échapper à un ordre social fondé sur la propriété. Mais peut-être que je ne mesure pas assez les effets d'une telle suppression radicale.</p>
<p>Ce que je sais et que je tire comme enseignement de ce que je viens de développer dans ce billet c'est qu'en aucun cas une <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/tag/insurrection">insurrection</a> se proposant d'inverser l'ordre social voltairien – sacralisant les rapports de domination des possédants – ne peut esquiver une négation totale du caractère <em>sacré</em> du droit de propriété. Il importe de faire sortir cet adjectif de notre ordre juridique. Par tous les moyens nécessaires.</p>
<p>La réécriture de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dans la <a href="http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/la-constitution/les-constitutions-de-la-france/constitution-du-24-juin-1793.5084.html">Constitution « montagnarde » du 24 juin 1793</a> nous offre un tel moyen en éliminant toute référence au sacré de la définition du droit de propriété pour ne le faire réapparaître qu'à son ultime article :</p>
<blockquote><p>Article 35. - Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs.</p></blockquote>
<div class="footnotes"><h4>Note</h4>
<p>[<a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/07/29/S-attaquer-%C3%A0-la-propri%C3%A9t%C3%A9#rev-wiki-footnote-1" id="wiki-footnote-1">1</a>] Après avoir écrit ces lignes, je découvre un article intitulé <a href="http://www.propedia-igs.fr/wp-content/uploads/2012/02/CHICOT_PY.pdf">Droit positif et sacré : l'exemple du droit de propriété dans la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen</a> de Pierre-Yves Chicot, Maître de conférences de droit public à l'Université des Antilles et de la Guyane, confirmant ce qui vient d'être avancé : <q>l'essentiel ici consiste à mettre en lumière la finalité de l'invocation au sacré. En effet, il semble bien que l'objectif du pouvoir normatif d'obédience laïque est d'utiliser la force de la normativité du sacré pour renforcer l'effet contraignant de la disposition visée. Il s'agit donc de convaincre les destinataires de la norme du bien fondé de la parole de droit positif énoncée et de l'obligation supérieure qui existe à la respecter en invoquant précisément le sacré. <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/07/29/…" title="…">…</a> Dans le même ordre d'idée, on fera observer qu'il n'est pas rare d'entendre les juristes parler de “sacro-saint principe” pour montrer l'emprise inextinguible de celui-ci. Et ce, quand bien même le droit divin le méconnaîtrait. Chaque fois qu'on recourt à cette méthode, l'invocation au sacré joue comme une contrainte supérieure. Pour enjoindre à la plus grande observance de la règle, il y a la recherche d'un effet à double détente. Un premier effet qui va naître du caractère obligatoire du droit positif lui-même. Un second effet qui va relever de la force évocatrice de la dimension théologique sur l'inconscient individuel et collectif, faisant ainsi fonction d<em>'opinio juris</em> renforcé. <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/07/29/…" title="…">…</a> Relier droit de propriété et liberté individuelle contribue à former le socle du système économique libéral, dont la démonstration du triomphe n'est plus à faire en ce début de XXI<sup>e</sup> siècle. Ce triomphe à l'échelle mondiale témoigne de la sacralisation renouvelée du droit de propriété, équivalant à une sorte de sacre globalisé du régime la propriété privée des moyens de production. <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/07/29/…" title="…">…</a> La sacralisation de la liberté et du droit de la propriété privée concourt à la mise en place d'un nouvel ordre économique qui révèle le caractère libéral de la Révolution française. L'utilitarisme du sacré est ainsi clairement mis en exergue pour parvenir au plein avènement de l'ordre économique libéral. <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/07/29/…" title="…">…</a> Le recours au sacré poursuit un objectif précis. Celui de convaincre les sujets de droit, du bien fondé de la norme posée. <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/07/29/…" title="…">…</a> Cette tendance à l'absolutisation de l'appropriation individuelle conduit à la consécration de l'ordre social des classes possédantes.</q></p></div>
https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/07/29/S-attaquer-%C3%A0-la-propri%C3%A9t%C3%A9#comment-formhttps://pascontent.sedrati.xyz/index.php/feed/atom/comments/8Le poids de l'ordre social voltairienurn:md5:c8e432a6ae534023d8daeef87c4dd7fa2013-07-25T09:19:00+02:002017-02-06T19:55:42+01:00gibusInsurrectionconservationFerréGuilleminHollandepropriétérapports de dominationrenversementSarkozyVoltaire<blockquote><p>L'esprit d'une nation réside toujours dans le petit nombre qui fait travailler le grand, est nourri par lui, et le gouverne.</p></blockquote>
<p>Cette citation de <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/tag/Voltaire">Voltaire</a> revient comme un refrain dans les exposés – ô combien instructifs – d'<a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Henri_Guillemin" hreflang="fr">Henri Guillemin</a> <a href="http://www.rts.ch/archives/dossiers/henri-guillemin/">diffusés</a> par la radio télévision suisse. Bien évidemment, à propos de la Révolution de 1789 et de l'avènement d'une richesse mobilière – banquiers, affairistes, riches commerçants – succédant à la richesse immobilière – noblesse et clergé. Mais on retrouve également cette citation pour illustrer la prise de pouvoir de Napoléon, ou la politique intérieure poursuivie par Adolphe Thiers en 1870 et pendant l'insurrection de la Commune de Paris. Ou encore lors de l'inexorable progression vers la première guerre mondiale durant les gouvernements successifs de la III<sup>e</sup> République sur fond de déchirements vis-à-vis de la mise en place d'un impôt sur le revenu. À toute époque, cette conception voltairienne de l'ordre social a été ce qui a guidé la conduite des affaires politiques, tant intérieures qu'extérieures.</p>
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<p>Il semble qu'il ne faille pas cesser de rappeler cette citation, tant elle illustre toujours aussi parfaitement à l'heure actuelle l'essence même de ce qui ordonne les rapports sociaux.</p> <p>Par honnêteté intellectuelle, commençons par reprendre la citation de Voltaire, <a href="http://fr.wikisource.org/wiki/Essai_sur_les_m%C5%93urs/Chapitre_155">tirée</a> de l<em>'Essai sur les mœurs et l'esprit des nations</em>, dans son intégralité, y compris la note de bas de page vers laquelle elle revoie :</p>
<blockquote><p>Quand nous parlons de la sagesse qui a présidé quatre mille ans à la constitution de la Chine, nous ne prétendons pas parler de la populace ; elle est en tout pays uniquement occupée du travail des mains <span class="small">[4]</span> : l’esprit d’une nation réside toujours dans le petit nombre, qui fait travailler le grand, est nourri par lui, et le gouverne. Certainement cet esprit de la nation chinoise est le plus ancien monument de la raison qui soit sur la terre.
<span style="display:block;" class="small">[4] C’est une suite naturelle de l’inégalité que les mauvaises lois mettent entre les fortunes, et de cette quantité d’hommes que le culte religieux, une jurisprudence compliquée, un système fiscal absurde et tyrannique, l’agiotage, et la manie des grandes armées, obligent le peuple d’entretenir aux dépens de son travail. Il n’y a de populace ni à Genève, ni dans la principauté de Neuchâtel. Il y en a beaucoup moins en Hollande et en Angleterre qu’en France, moins dans les pays protestants que dans les pays catholiques. Dans tout pays qui aura de bonnes lois, le peuple même aura le temps de s’instruire, et d’acquérir le petit nombre d’idées dont il a besoin pour se conduire par la raison.</span></p></blockquote>
<p>Il ne s'agit pas ici de faire le procès de Voltaire, ni de discuter d'un éventuel bémol que viendrait apporter la note de bas de page à la férocité du propos principal, ni encore de reprocher à Henri <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/tag/Guillemin">Guillemin</a> de ne citer la pensée voltairienne qu'avec approximation, remplaçant le sujet original <em>l'esprit d'une nation</em> par <em>un pays bien organisé</em>. Ce qui m'importe est que Voltaire décrit ici très exactement les <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/tag/rapports%20de%20domination">rapports de domination</a> dont la <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/tag/conservation">conservation</a> ou le <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/tag/renversement">renversement</a> ont toujours fondé – et continuent de constituer – le cœur de l'action politique.</p>
<p>Car enfin, comment ne pas faire le froid constat qu'il n'a jamais été question d'autre chose dans toutes les prises de pouvoir que de savoir à quel degré ceux qui gouverneront infléchiront cet ordre social si clairement défini dans la citation de Voltaire ? Exceptionnellement – en août 1792, quelques jours en 1848, moins de deux mois en 1871… — l'angle d'inflexion parvient à être obtus. Jamais – à ma connaissance – il n'a été plat et encore moins rentrant. La plupart du temps, il est aigu. C'est-à-dire que le nouveau pouvoir est destiné à préserver l'ordre social. Et comment en serait-il autrement, puisque cet ordre social cristallisé dans les écrits de Voltaire consiste précisément à ce que le pouvoir demeure entre les mains d'un petit nombre de gens ? Mais pas seulement : le grand nombre, qui ne doit en aucun cas accéder au pouvoir, doit être mis au travail – tâche qui en plus a le grand mérite, selon la note de bas de page de Voltaire, d'empêcher cette masse populaire de seulement réfléchir à sa situation, sans parler de la remettre en cause – par ceux qui le gouvernent afin que ces derniers puissent non seulement continuer à vivre dans l'opulence, mais à s'en nourrir, c'est-à-dire à s'en engraisser.</p>
<p>Il n'est qu'à regarder les deux dernières prises de pouvoir en France. En 2007, il ne faisait aucun doute que le candidat à l'élection présidentielle le mieux placé était Nicolas <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/tag/Sarkozy">Sarkozy</a>. Issu lui-même du petit nombre des possédants appelé à faire travailler le peuple, s'en nourrir et le gouverner. Et cette prise de pouvoir s'est faite de manière impudique en exaltant la « valeur travail », c'est-à-dire en affichant ouvertement qu'une fois au pouvoir, le candidat Sarkozy œuvrerait pour les seuls intérêts du petit nombre, auquel il s'est toujours glorifié d'appartenir. Le « bouclier fiscal » fut logiquement son premier fait d'arme dont l'intitulé soigneusement choisi ne pouvait manquer de poser le président Sarkozy en défenseur courageux de ce petit nombre, qu'on ne peut s'empêcher d'imaginer recroquevillé de peur sous son édredon, frissonnant à l'idée que la plèbe puisse lui arracher ne serait-ce qu'une parcelle de sa propriété – sacrée – en brandissant l'arme non conventionnelle et de destruction massive qu'est l'impôt !</p>
<p>Décomplexés furent la prise de pouvoir et son exercice par Sarkozy. Trop décomplexés ! Cela commençait à être trop voyant avaient pourtant <a href="http://www.lemonde.fr/livres/article/2010/09/07/le-president-des-riches-enquete-sur-l-oligarchie-dans-la-france-de-nicolas-sarkozy-de-michel-pincon-et-monique-pincon-charlot_1407835_3260.html">prévenu</a> <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Monique_Pin%C3%A7on-Charlot" hreflang="fr">Monique Pinçon-Charlot</a> et <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Michel_Pin%C3%A7on" hreflang="fr">Michel Pinçon</a> dans <em>Le Président des riches, enquête sur l’oligarchie dans la France de Nicolas Sarkozy</em><sup>[<a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/07/25/Le-poids-de-l-ordre-social-voltairien#wiki-footnote-1" id="rev-wiki-footnote-1">1</a>]</sup>.</p>
<p>Rien d'étonnant donc à ce que Sarkozy ne soit plus en 2012 le candidat le mieux à même de protéger les intérêts de ce petit nombre qui fait travailler le grand, est nourri par lui et le gouverne. Rien d'extraordinaire non plus à ce que ce rôle soit dévolu à François <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/tag/Hollande">Hollande</a>, candidat de ce qu'on <a href="http://www.liberation.fr/politiques/2013/04/11/hollande-extremiste-du-centre-gauche_895633">peut désigner</a> par « <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Centre_gauche" hreflang="fr">centre gauche</a> ».</p>
<p>L'extrait sonore d'Henri Guillemin ci-dessus introduisait la citation de Voltaire, mais rappelait également ce qu'a été la création du centre-gauche par Adolphe Thiers en 1871 : le ralliement du petit nombre des possédants à l'idée de République, comme étant le système de gouvernement le plus apte à maintenir ce petit nombre dans sa position de gouvernant. Certes, on ne désigne plus aujourd'hui par <em>centre-gauche</em> ce qui en 1871 était en fait un parti au paroxysme du conservatisme de droite. On entend que le président Hollande est un homme de gauche modérée, avec suffisamment de modération pour insensiblement glisser vers le centre. Et bien on entend fort mal !</p>
<p>Car le président Hollande mène bel et bien une politique qui, une fois encore, s'évertue à conserver au petit nombre le pouvoir de faire travailler le grand nombre, d'être nourri par lui et de le gouverner. Au point que <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Fr%C3%A9d%C3%A9ric_Lordon">Frédéric Lordon</a> va jusqu'à <a href="http://blog.mondediplo.net/2013-04-12-Le-balai-comme-la-moindre-des-choses">rejeter</a> de qualifier de <em>gauche</em> le gouvernement Hollande. On ne peut que le suivre lorsqu'il propose qu'un critère permettant de tracer une ligne de partage entre droite et gauche soit la réaction de validation ou de contestation de la prise en otage des moyens de la vie matérielle collective, opérée par le capital :</p>
<blockquote><p>Validée, et tout est fait pour donner satisfaction au capital, c’est-à-dire consentir à un état des choses qui fait jouer le jeu de l’économie à ses conditions — c’est la droite. Contestée, et la capture privative du bien collectif en quoi consistent les conditions de la vie matérielle de la société est jugée intolérable en principe, les structures économiques sont modifiées pour en contrecarrer les effets, éventuellement les annuler en visant une sortie du capitalisme, en tout cas identifier comme seul objectif politique pertinent de rendre du pouvoir au grand nombre contre le petit — c’est la gauche.</p></blockquote>
<p>Force est de constater qu'en ayant choisi de préserver l'ordre social voltairien, il convient en effet de qualifier l'exercice du pouvoir par François Hollande de politique de droite. Un telle constatation est devenue inévitable depuis l'adoption de la <a href="http://www.legifrance.gouv.fr/WAspad/UnTexteDeJorf?numjo=ETSX1303961L">loi n° 2013-504 du 14 juin 2013</a> « relative à la sécurisation de l'emploi ». Comment un gouvernement revendiquant d'être <em>de gauche</em> – de même qu'un syndicat, la CFDT, prétendant à la même qualification – peut-il honnêtement accepter de s'allier avec les organisations patronales pour proposer une mesure<sup>[<a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/07/25/Le-poids-de-l-ordre-social-voltairien#wiki-footnote-2" id="rev-wiki-footnote-2">2</a>]</sup> telle que la possibilité pour les employeurs de diminuer la rémunération des salariés ?</p>
<p>Allons ! C'est une mesure thermidorienne ! C'est l'instauration en juillet 1794 d'un <em>maximum</em> sur les salaires, mesure échafaudée pour précipiter la chute de Maximilien Robespierre, qui avait eu l'audace d'instaurer un an auparavant un <a href="http://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_du_maximum_g%C3%A9n%C3%A9ral">maximum</a> sur les prix des denrées de base. C'est en tout cas, indiscutablement, une mesure voltairienne pour la satisfaction de ce petit nombre qui fait travailler le grand nombre.</p>
<p>Quel est ce petit nombre ? Comment déterminer qui en fait ou non partie ? La réponse ici encore nous est donnée par ce coup de grâce à la révolution du grand nombre qu'a été la réaction thermidorienne : ce petit nombre ce sont les gens de biens, c'est-à-dire qui possèdent des biens, les possédants. Bref, cet ordre social voltairien reste déterminé par un facteur discriminant unique : la <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/tag/propri%C3%A9t%C3%A9">propriété</a>. Il suffit de relire la reformulation de la citation de Voltaire que François-Antoine, comte de Boissy d'Anglas, proféra lors de l'établissement de la constitution de 1795 :</p>
<blockquote><p>Nous devons être gouvernés par les meilleurs : les meilleurs sont les plus instruits et les plus intéressés au maintien des lois ; or, à bien peu d’exceptions près, vous ne trouverez de pareils hommes que parmi ceux qui, possédant une propriété, sont attachés au pays qui la contient, aux lois qui la protègent, à la tranquillité qui la conserve et qui doivent à cette propriété et à l'aisance qu'elle donne et l'éducation qui les a rendus aptes à discuter avec sagacité et justesse, les avantages et les inconvénients des lois qui fixent le sort de la patrie. […] Un pays gouverné par les propriétaires est dans l’ordre social ; celui où les non-propriétaires gouvernent est dans l’état de nature.<sup>[<a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/07/25/Le-poids-de-l-ordre-social-voltairien#wiki-footnote-3" id="rev-wiki-footnote-3">3</a>]</sup></p></blockquote>
<p>C'est sur cette notion de <em>propriété</em> qu'il conviendra de revenir dans un prochain billet. En attendant, comment ne pas retenir combien cet ordre social énoncé par Voltaire pèse encore et toujours sur nos vies ? Si l'insurrection est plus que jamais inévitable, son objectif premier doit bien être d'alléger, de délivrer, de libérer le grand nombre de cette oppression.</p>
<p>Léo <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/tag/Ferr%C3%A9">Ferré</a> a magnifiquement dépeint l'objet de cette nécessaire insurrection :</p>
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<div class="footnotes"><h4>Notes</h4>
<p>[<a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/07/25/Le-poids-de-l-ordre-social-voltairien#rev-wiki-footnote-1" id="wiki-footnote-1">1</a>] <em>« L’arbitraire de la domination et le népotisme ne doivent pas apparaître au grand jour, pour laisser aux classes dominées l’illusion que les qualités et le mérite sont bien à la base des choix du président de la République »</em>, livre accessible gratuitement <a href="http://www.editions-zones.fr/spip.php?id_article=116&page=lyberplayer">en ligne</a>, voir également les citations compilées sur <a href="http://fr.wikiquote.org/wiki/Monique_Pin%C3%A7on-Charlot">Wikiquote</a>.</p>
<p>[<a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/07/25/Le-poids-de-l-ordre-social-voltairien#rev-wiki-footnote-2" id="wiki-footnote-2">2</a>] <a href="http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexteArticle.do?idArticle=JORFARTI000027546920&cidTexte=JORFTEXT000027546648&dateTexte=29990101&categorieLien=id">Article 17 créant l'article L. 5125-1. - I. du code du travail</a> : <q>En cas de graves difficultés économiques conjoncturelles dans l'entreprise dont le diagnostic est analysé avec les organisations syndicales de salariés représentatives, un accord d'entreprise peut, en contrepartie de l'engagement de la part de l'employeur de maintenir les emplois pendant la durée de validité de l'accord, aménager, pour les salariés occupant ces emplois, la durée du travail, ses modalités d'organisation et de répartition <strong>ainsi que la rémunération</strong> <a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/07/25/…" title="…">…</a></q> (je souligne).</p>
<p>[<a href="https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/07/25/Le-poids-de-l-ordre-social-voltairien#rev-wiki-footnote-3" id="wiki-footnote-3">3</a>] F.-A. Boissy d'Anglas, <em>Discours préliminaire</em>, 5 messidor an III (23 juin 1795), Paris an III, cité par Le Bozec Christine. <em>Le républicanisme du possible : les opportunistes. (Boissy d'Anglas, Lanjuinais, Durand -Maillane. .)</em>. In: <a href="http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahrf_0003-4436_1995_num_299_1_1882">Annales historiques de la Révolution française. N°299, 1995. pp. 67-74</a>.</p></div>
https://pascontent.sedrati.xyz/index.php/post/2013/07/25/Le-poids-de-l-ordre-social-voltairien#comment-formhttps://pascontent.sedrati.xyz/index.php/feed/atom/comments/7