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La « propriété intellectuelle » c'est le viol ! troisième partie

dans la catégorie Informatologie

Intellectual_Property_by_tazis.jpgNous arrivons au terme de ce tryptique de billets sur la « propriété intellectuelle ». À partir d'un article de Richard Stallman, le premier billet nous avait permis, par une simple analyse textuelle du titre de cet article, de problématiser la question. La « propriété intellectuelle » y était en effet présentée comme un séduisant mirage, un être fantasmagorique et composite à l'apparence pourtant bien réelle.

L'étude bibliographique menée dans le second billet a confirmé que la « propriété intellectuelle » avait effectivement réussi à imposé l'unification de divers droits – droits d'auteurs, brevets, marques, dessins et modèles, etc. – malgré toutes leurs disparités. Somme toute, le seul point commun les rassemblant s'est avéré être justement qu'ils soient tous raccrochés à la banière de la propriété. Toutefois, cette caractérisation en termes de propriété s'est révélée on ne peut plus contingente et, au final, portée par un unique objectif de marchandisation qu'ont poussé des acteurs juridiques et industriels.

C'est donc dans le seul domaine de l'économie que le mirage de la « propriété intellectuelle » existe réellement. Il s'en suit que toute critique de la « propriété intellectuelle » en tant que telle, n'a de sens que située dans le champ économique. Pour le dire autrement : ce n'est qu'en tant qu'objet économique que la « propriété intellectuelle » est susceptible d'être appréhendée. Il nous faut donc, dans ce troisième et dernier billet, pénétrer le monde merveilleux de l'économie, tenter d'en dégager les lois spécifiques grâce auxquelles surgissent des êtres chimériques tels que la « propriété intellectuelle » et comprendre ainsi comment est régie leur mystérieuse existence.

1re partie : Stupeur et dévoilement
2e partie : Archéologie du savoir approprié

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Premières mesures révolutionnaires : se méfier du piège du revenu garanti

dans la catégorie Ressources

Au milieu de leurs réflexions sur le travail, l'argent et l'économie, Éric Hazan et Kamo abordent dans Premières mesures révolutionnaires le sujet du revenu garanti. Puisqu'ils venaient d'appeler le mouvement insurrectionnel à disjoindre travail et possibilité d'exister, on aurait pu s'attendre à ce qu'ils soutiennent cette proposition, consistant globalement à attribuer à chaque citoyen un revenu tout au long de sa vie, indépendamment du fait qu'il exerce une activité rémunérée. Au contraire, le revenu garanti est jugé être une « fausse bonne idée » dont il convient de se méfier. En effet, selon Kamo et Hazan, sa mise en œuvre irait à l'encontre des objectifs que se fixe une révolution censée renverser le capitalisme démocratique.

J'ai moi-même appelé, pour des raisons tactiques, à soutenir une pétition à l'échelon européen pour une initiative populaire en faveur du revenu garanti – au final cette initiative a été abandonnée faute d'avoir recueilli le nombre suffisant de signatures – je ne me suis cependant jamais exprimé sur le fond de cette proposition, que je suis avec grand intérêt depuis une quinzaine d'années. Ce billet est l'occasion de revoir ce qui est louable ou critiquable dans le revenu garanti.

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Premières mesures révolutionnaires : marginaliser l'argent, éradiquer l'économie

dans la catégorie Ressources

Revenons où nous nous étions arrêtés dans la discussion de Premières mesures révolutionnaires, le livre d'Éric Hazan et Kamo, c'est-à-dire à la nécessaire abolition du travail. Il n'est bien entendu pas question d'entendre par là une suppression de toute activité humaine « productive » ou non. Quel que soit le mode d'organisation social en vigueur, il sera toujours nécessaire d'accomplir des activités, non seulement pour agir sur la nature et subvenir ainsi aux besoins humains essentiels, mais également parce que c'est dans l'activité que l'humain se réalise. Lorsqu'il est proposé d'abolir le travail, le mot est à prendre dans le sens du travail salarié tel qu'il est effectivement désigné dans la société capitaliste : la dépense auto-référentielle de la simple force de travail sans égard à son contenu.

Mais, il est dès lors impossible de parler d'abolition du travail sans englober son inséparable corollaire : l'argent. Les deux sont indissociables, comme l'illustre avec humour le sketch de Coluche incarnant un chômeur :

Comme souvent, ce trait d'humour – les gens ne réclameraient pas de travail mais uniquement de l'argent – recèle une vérité plus profonde : le but essentiel du travail, dans la société du capitalisme démocratique, est de gagner de l'argent. Force est de constater que le travail est le principal – et pour la majorité des gens, le seul – moyen de parvenir à se procurer l'argent autour duquel tout est organisé dans cette société marchande. Argent et travail sont ainsi le cœur de l'organisation capitaliste. On ne peut que suivre le philosophe André Gorz lorsqu'il dénonce la complicité structurelle [qui] lie le travailleur et le capital : pour l'un et pour l'autre, le but déterminant est de “gagner de l’argent”, le plus d’argent possible (Ecologica, Paris, éditions Galilée, 2008).

Suivons donc Kamo et Hazan dans les mesures proposées quant à l'argent et plus globalement à l'économie.

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Pour en finir avec le désir de travail

dans la catégorie Ressources

lordon_affects.jpgAu point où nous sommes parvenus – l'indispensable disjonction du travail et de la possibilité d'exister – et avant d'aborder le sujet suivant – l'abolition de l'économie –, qui lui est intimement lié, il me paraît nécessaire de revenir sur l'objection majeure à la critique radicale de l'emploi salarié. Cette critique d'ordre métaphysique revient en fait simplement à opposer à une disparition du travail, un désir de travailler qui nous habiterait quasi-ontologiquement et ferait du travail, sinon l'essence, tout au moins un élément déterminant de la réalisation de soi, par conséquent inattaquable et indépassable.

Il n'est pas question de nier ce « désir de travail ». Cette opinion qui le brandit est on ne peut plus sérieuse, car elle est profondément ancrée. Parlez avec n'importe qui de supprimer le travail, vous aurez toutes les chances de vous heurter soit à une incompréhension frisant l'horreur que vous ne touchiez là à l'inconcevable, soit à un refus catégorique débouchant sur une véritable déclaration d'amour envers le travail. C'est bel et bien là l'une des plus grandes victoires du capitalisme démocratique d'être parvenu à ce que le « désir de travail » soit si parfaitement intériorisé, que ceux-là mêmes qui en subissent les souffrances – pire : ceux-là même qui sont conscients des afflictions que leur cause le travail – en deviennent les plus vaillants défenseurs.

J'ai commencé à répondre à cette objection en montrant, avec Dominique Méda, qu'on ne saurait revendiquer que le travail produit de l'autonomie alors qu'il est intrinsèquement hétéronome, principalement par sa fonction et sa caractéristique première, car le travail est avant tout économique. Il faut sans doute poursuivre cette réfutation et l'approfondir. Car, en présence d'un état d'esprit si profondément enraciné, il ne s'agit de rien de moins que d'en appeler à un changement de mentalité.

Et pour défaire un imaginaire si prégnant, il faut bien toute la puissance des concepts mis à disposition par la philosophie. J'ai déjà effleuré ce que le conatus et les affects, tels que définis dans la philosophie de Spinoza, pouvaient apporter à une réfutation en règle de l'objection considérant que si personne n'est obligé de travailler, nos besoins naturels ne pourraient être satisfaits. Dans une démonstration magistrale, Frédéric Lordon montre, en s'appuyant sur ces mêmes concepts, combien le « désir de travail » ne saurait être vu comme expression d'un « libre arbitre » – dont l'existence est d'ailleurs hautement discutable – mais plutôt comme le produit structurel du capitalisme démocratique. L'évolution du capitalisme – dont Lordon distingue trois phases : pré-fordien, fordiste et néo-libéral – aboutit clairement à cette construction de l'imaginaire faisant du « désir de travail » le vecteur privilégié de la réalisation de soi.

Outre ses talents clairvoyants d'économiste et de philosophe, la dextérité littéraire de Frédéric Lordon rend son propos largement accessible – et ce, malgré la rudesse des concepts et du raisonnement philosophique utilisés. Il est donc temps de s'effacer pour laisser place à de larges citations d'un article intitulé Pour un structuralisme des passions, paru dans la revue Tracés 3/2013 (n° HS-13), p. 49-72 (DOI : 10.4000/traces.5694) et qui est une version remaniée d’un chapitre de l'ouvrage La société des affects. Pour un structuralisme des passions, Seuil, coll. « L'ordre philosophique », 2013, 284 p., ISBN : 978-2-02-111983-1.

La démonstration est longue, car elle nécessite d'expliciter les concepts employés et leur applicabilité aux sciences sociales, mais le raisonnement est limpide, pour peu qu'on soit attentif au chemin qu'il emprunte. Armons-nous donc de patience pour nous en délecter, le jeu en vaut la chandelle !

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Premières mesures révolutionnaires : disjoindre travail et possibilité d'exister

dans la catégorie Ressources

Nous abordons dans ce quatrième billet autour du livre d'Éric Hazan et Kamo, Premières mesures révolutionnaires, les mesures qui, en mettant en cause les deux piliers du capitalisme démocratique que sont le travail et l'économie, augurent un changement radical de notre quotidien dans notre manière de faire société. Celle-ci est en effet quasi exclusivement organisée, dans l'ordre social dominant actuel, autour du travail salarié et de la recherche de l'abondance économique. Et le capitalisme démocratique parvient à imposer sa domination sur la quasi intégralité de notre mode de vie précisément grâce au travail et à l'économie.

Cette omnipotence du travail et de l'économie dans l'ordre social dominant actuel est telle qu'il est nécessaire – en complément de la posture adoptée par Kamo et Hazan de ne pas s'étendre sur le constat de sa faillite – de revenir sur les raisons exigeant qu'une insurrection s'attaque de front à ces deux piliers. Ce billet s'attache ainsi à ne discuter temporairement que du seul travail, tant la discussion à son seul propos peut être riche, laissant la critique de l'économie au billet suivant. Contrairement aux précédents billets, celui-ci ne suit donc pas linéairement le texte de Premières mesures révolutionnaires qui associe travail et économie, constatant avec justesse que les deux notions sont indissociables. Il est toutefois plus que probable qu'en explorant en détail les mesures requises pour mettre en pièces l'imposant pilier du travail, ses fondations dans l'économie soient ébranlées dans le même mouvement…

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